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Page:Ainsworth - Abigail ou la Cour de la Reine Anne (1859).pdf/93

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ABIGAÏL.

— Laissez de côté toute feinte, madame, répliqua la duchesse avec dédain. La ruse désormais est inutile. Je sais comment, par qui et pour quoi M. Harley a été amené ici. Le stratagème est digne de lui et de son hypocrite alliée ; mais il est indigne, bien indigne de vous. Quel peut être le but d’une entrevue ménagée d’une manière si clandestine ? de quoi peut-il être question lorsque la reine d’Angleterre rougit, oui, rougit d’être surprise ?

— Assez, duchesse ! assez ! s’écria Anne avec colère.

— Non, je parlerai, madame, repartit l’audacieuse sujette. Dussent ces paroles être les dernières qu’il me soit permis de prononcer devant vous, je veux prouver à Votre Majesté à quel point elle a été trompée par cet intrigant à double face, par cet insidieux personnage qui demeure stupéfié par ma présence, tandis que tout à l’heure il osait lever bien haut la tête en ces lieux. Ce misérable renégat, dis-je, qui aujourd’hui vient à vous, eût accepté avec joie telles conditions que j’eusse voulu lui faire. Mais j’ai rejeté ses offres avec dégoût ; je n’ai pas voulu me servir de lui, même comme d’un instrument. Pour se venger, il recourt aux plus ignobles machinations, et s’introduisant en présence de Votre Majesté, par des moyens que lui seul ou quelque autre aussi vil que lui pourrait employer, il insinue à votre oreille des paroles empoisonnées, qui par bonheur sont impuissantes à nuire, quelque désir qu’il ait eu de rendre le venin mortel ! Que cet homme me donne un démenti, s’il le peut.

— Certes oui, je le ferai ! répliqua Harley, qui avait eu le temps de se remettre. Je donne à madame un démenti des plus formels. Votre Majesté a entendu la duchesse jusqu’au bout, tant mieux ! car elle a été pour le gain de ma cause le meilleur avocat que j’eusse pu choisir. Je laisse pour ce qu’elles valent ses accusations contre moi, aussi fausses que puériles, je les repousse et les méprise, et je veux simplement demander à Votre Majesté si la plainte que j’ai portée contre elle n’est pas complétement justifice par sa conduite présente ? L’accent, le langage, le maintien de madame, sont-ils ceux d’une sujette en présence de sa souveraine ? De quel droit est-elle venue vous interrompre ? ce n’est point à la duchesse de Marlborough à dicter à Votre Majesté quelles personnes elle doit recevoir, et à quelle heure elle peut les admettre ; la duchesse ne doit