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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/106

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

règle que de chercher quelque pensée agréable, et de s’y tenir collé, comme un chien à son os. D’où tant d’opinions folles, aussi folles, exactement aussi folles que les craintes dont elles nous guérissent, et voulues comme par serment. D’où aussi ce grognement animal et ces dents qui menacent, dès qu’on fait geste seulement de toucher à l’os.

Représentez-vous une escadrille en son campement.POUR LE CHEF L’HOMME
EST UN OUTIL.

Représentez-vous une escadrille en son campement. Les gros insectes étalés et rampant sur la terre ; les tentes dont les toiles claquent comme des voiles de navire. Passe le noir mécanicien, chargé d’outils et de bidons. Voilà les hommes oiseaux, tout lavés, tout parés, canne en main, simples, souriants, amicaux, comme sont des hommes qui n’ont à gouverner que leurs propres mouvements. Puis le commandant, plus sombre de costume, au visage froid et dur ; le seul militaire ici. On ne saisit pas toujours la raison de ces différences, ni ce tyran sévère et triste, en ces lieux où l’amitié, l’honneur, l’audace naturelle et l’esprit d’aventure se lisent en clair sur les jeunes visages. Cette guerre serait noble et libre, comme aux camps du Tasse et de l’Arioste, si le maître voulait sourire. Mais il ne le veut point ; peut-être ne le peut-il point, par l’âge et l’estomac.

Peut-être par d’autres causes. Le grand chef, celui qui poussera demain toute cette armée de fantassins, de canons, d’avions, s’inquiète de nouveaux ouvrages que l’ennemi construit en hâte. Il faut que l’aviateur photographe en rapporte l’image. À tout prix. Ce n’est pas un vain mot ; on sait que les chasseurs

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