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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/124

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

que que j’ai citée d’abord, et sur quoi je veux réfléchir.

Je n’aime point trop, et je l’ai assez écrit, ceux qui émigrent d’un parti dans un autre ; et j’ai plus d’une raison de vouloir que les pensées de l’âge mûr développent les premières affirmations de la jeunesse. Vauvenargues l’a dit en termes admirables : « Qu’est-ce qu’une grande vie ? Une pensée de jeunesse réalisée par l’âge mûr. » Je crois fermement que si l’on ne se soumet pas à cette condition, de se développer soi-même selon le premier choix, on n’aura point d’idées du tout. Aussi, dans les dix années qui ont précédé la guerre, et parlant de ma tribune provinciale où j’avais encore plus d’auditeurs que dans celle-ci, je bataillais ferme contre le Rhéteur à tout faire. Je me fis même des querelles avec mon Directeur, mais finalement il céda, tant la liberté de l’écrivain est honorée dans ce charmant pays.

Maintenant je me fierais à l’homme. Et pourquoi ? C’est parce que le jeu des circonstances l’amène à parler et à agir selon sa première nature. On peut émigrer d’un parti ; on n’émigre point de sa propre nature. Un homme peut faire la guerre sans l’aimer. Il peut même la décider sans l’aimer. Cela se voit toujours à la manière de dire ; la vraie nature se retrouve dans les gestes et dans les métaphores. Il y a un genre de déclamation qui ne passera point par ce gosier-là. Et au contraire il y a des Hommes trompettes, qui ne savent sonner que la charge ; et ceux-là aussi peuvent bien louer la paix et la promettre au monde ; mais cette chanson ne résonne point en eux ; ils ne l’aiment point. Le métier n’y fait rien. Le maréchal Foch a parlé plus d’une fois de la paix

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