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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/138

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

rend nullement en succès l’équivalent du savoir et du travail. C’est ici le royaume de la bonne chance et du miracle. Les choses sont vues à travers ce brouillard humain ; ce qui fait qu’il reste toujours, dans les idées d’un tel homme, une certaine couleur de religion. Au reste c’est toujours par là que nous commençons, puisque l’enfant attend d’abord tout des hommes ; mais la pensée bourgeoise mûrit plus lentement que toute autre ; c’est comme une enfance continuée. La poésie en témoigne, qui, dans ses meilleures inventions, a souvent quelque chose de puéril.

Il y a pis ; et les bourgeois, dès qu’ils pensent en cercle, arrivent promptement au lieu commun, sans pensée aucune, par cette crainte de déplaire qui est au fond de la politesse. En pensant à ces assemblées de timides, qui parlent comme on chante, attentifs à l’air et aux paroles, Stendhal a pu écrire ce terrible mot : « Tout bon raisonnement offense. » L’invention se meut alors dans le Bel Esprit, que l’on ose appeler l’Esprit tout court, et qui est l’art de donner aux idées reçues l’apparence de la jeunesse. Encore est-ce un jeu dangereux. La prudence ramène chacun aux formules consacrées. Il faut parler alors comme on danserait. Et c’est par là qu’il faut comprendre l’immobilité conservatrice ; les intérêts n’y jouent pas autant que la politesse. Et c’est ce qu’il faudrait d’abord comprendre. Qui ne comprend point s’irrite. Qui s’irrite frappe à côté du clou.