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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/201

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LE RENDEMENT, NON LA PUISSANCE

et recuire. Journées de travail innombrables. Son arc lance maintenant la petite flèche de métal beaucoup plus loin ; mais c’est qu’il a tiré bien des journées pour tendre son arc. Je m’exerçais donc à retrouver dans le choc de la balle jusqu’au coup de marteau du forgeron. Et j’appliquais toujours la formule de mécanique, évidente pour l’arc, mais déjà assez cachée pour le fusil, c’est que la machine ne restitue jamais que le travail musculaire, sans y rien ajouter. C’est ici que les objections se montrent, parce que l’imagination nous tire plus fortement que jamais à croire qu’il y a une vertu propre dans la poudre, qui ajoute quelque chose au travail humain.

Ici est le point difficile. Il est connu qu’une poudre ne rend en chaleur, c’est-à-dire en force explosive, que la chaleur qu’on y a concentrée en quelque sorte en la fabriquant. Mais l’homme ne fait pas le charbon ; il le trouve dans les forêts ; de même l’homme trouve le pétrole. C’est en cela que le fusil, et aussi l’avion, dont le moteur n’est qu’un fusil composé, différent de l’arc d’Ulysse. Et, même dans le bateau d’Ulysse, la force du vent était toute trouvée. Je n’allais pas soutenir, certes, que le secours du vent, qui remplace dix rameurs, ne dépassait point par ses effets la somme de travaux du charpentier qui avait construit la barque, de la fileuse, du tisserand et du cordier. Toutefois je ne crus pas que j’aurais perdu mon temps si seulement j’arrivais à voir, à côté du tranquille pilote au gouvernail, une foule d’hommes invisibles qui poussaient la barque.

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