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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/236

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

même familière à tous par les effets. Mais, si nous pouvions payer en or, ne serait-ce point une vraie et bienfaisante richesse qui passerait les mers ? Plusieurs remarques se présentent ; d’abord, que le plus riche de nos créanciers, et auquel tous ces paiements viendraient aboutir, n’a point besoin d’or, et qu’il en a même trop. Mais une idée presque trop claire se glisse par la même porte : « Mange-t-on de l’or ? » Ici la réflexion reste immobile, comme un pauvre à la porte d’une banque.

Une banque. Il semble qu’il ne soit pas permis à la pensée d’entrer là. Un banquier a quelquefois une pensée ; mais il la laisse dès qu’il fait son métier. Quel est donc ce jeu derrière ces grilles ? Un jeu de Signes, à ce que je crois ; une algèbre. Personne là-dedans ne pense plus loin que les signes ; mais plutôt les signes pensent seuls, comme il arrive aux médiocres mathématiciens, de transposer leurs signes comme il faut, mais de ne plus savoir lire les signes sous cette forme nouvelle, c’est-à-dire les transformer en objets ; et cela s’est vu pour les doctrines d’Einstein. Quelque enfant terrible a dit : « La mathématique est une science dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce qu’on dit est vrai. » J’aimerais à dire, en imitant ce vigoureux paradoxe, que la banque est un art de compter qui ne sait jamais ce qu’il compte, ni si ses millions ont quelque chose de vrai. Nous autres, au lieu de regarder à travers les grilles, par où nous ne verrons que des signes de signes, nous devons former quelque idée réelle, en vue de surmonter et en quelque sorte d’exorciser ces bilans abstraits qui concluent tous à l’impossible.

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