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Page:Alain - Lettres à Henri Mondor, 1924.djvu/78

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LETTRES D’ALAIN

l’ivresse d’entreprendre ; car l’action dévore la pensée. L’ennui des passions vient de ce qu’elles ne peuvent pleinement sentir faute d’aimer percevoir. Je suis comme assuré, quoique sans preuves, que les hommes eurent d’abord l’univers en eux, et pour ainsi dire la lune dans l’estomac, ne pouvant digérer cette accablante nourriture, et se battant entre eux pour oublier tout. Ce fut leur art, trace et monument d’abord de leur folie, qui leur apprit la contemplation, par cette peur sacrée qui, les détournant des tombeaux, les conduisit enfin à les voir. Et la perspective des colonnes nous apprit celle des arbres ; et, quoique cela étonne, il faut juger que c’est par la peinture que nous apprenons à voir les couleurs. Aussi le mouvement est juste de cet auteur que nous venons de perdre, toujours sortant de l’œuf, et qui perçoit l’aubépine d’après l’estampe japonaise ; car on sait