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Page:Alain - Lettres à Sergio Solmi sur la philosophie de Kant, 1946.djvu/94

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PHILOSOPHIE DE KANT

l’orateur. L’orateur mugit autant qu’il parle ; il montre l’élément mécanique et animal de la parole. Être un homme, c’est aussi bien bégayer, comme j’ai remarqué en ceux qui parlent et qui lisent bien ; il ne faut pas que ce soit trop bien ; il faut qu’on entende le souffle, et véritablement un bruit. Comme il n’est point de belle musique sans le bruit, ainsi il n’est pas de grand orateur sans le cri. Liszt, à ce qu’on raconte, ne fut jamais plus émouvant que sur un piano faux. Au reste, tout piano est faux ; et l’harmonie, si on l’entendait bien, ne serait qu’un bruit confus ; quelquefois le musicien fait remarquer cela même. Et le frottement, que l’on nomme dissonance, ne doit jamais être dissimulé ; bien au contraire, il doit irriter l’auditeur et le conduire à dominer cette irritation, qui, faites-y attention, reviendra et se contentera dans les bravos. Et ceux qui essayèrent de refuser ce bruit triomphal virent bien qu’il manquait alors quelque chose à la musique.

Je me plais à ces fantaisies, mon cher ami, pour exprimer mieux la ri-