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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/113

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CHAPITRE L

MONSIEUR PURGON

Au sujet des médecins militaires, j’ai éprouvé des sentiments vifs ; et aujourd’hui encore, quand j’aperçois le velours rouge surmonté de galons, je me détourne. On rit à Molière, lorsque cette Importance fait son entrée ; chacun se dit : « Voilà ce qu’un médiocre médecin voudrait être, et voilà ce qu’il serait si nous manquions de courage. » Mais coiffez-le d’un képi doré, c’est fini de rire. Spectacle neuf, un pédant qui punit de mort celui qui rira. Je n’entends pas qu’il ait le pouvoir de tuer par des remèdes ; on peut accepter ce risque-là. Je dis que si l’on commence à rire, ce qui entraîne insolence d’un côté, menace et fureur de l’autre, le résultat est clair. Un roi injuste ou grossier, on pouvait toujours lui répondre ; mais avec ces rois de notre temps, il faut écouter le démenti, la moquerie et l’injure comme si l’on était de pierre. Il est vrai que ces messieurs n’ont pas le privilège d’insulter bassement, je dis même lâchement, des hommes qui ne peuvent répondre. Seulement les autres, en cela, ne sont qu’odieux ; le médecin est de plus ridicule ; et respecter ce qui est ridicule, c’est sans doute la plus cuisante marque de l’esclavage. Je me souviens d’un dentiste transformé en médecin à deux galons et qui avait trouvé ce beau raisonnement : « Êtes-vous allé en permission ? Oui ? Alors vous êtes guéri. Et taisez-vous. » Il examinait de pauvres diables après leur permission de convalescence. Et le ton était par lui-même injurieux. Infortunés soldats, abandonnés de Dieu et des hommes. Au pouvoir d’un cuistre qui se venge sur eux d’avoir tant salué ses clients et ses clientes. J’arrête ici les anecdotes, j’arriverais à faire rire, et c’est ce que je ne veux point.

Le lecteur cultivé connaît la guerre par des récits d’officier ; et l’officier ignore tout à fait ce genre de misères ; ou bien il les a oubliées ; le pouvoir y a mis ses baumes. Et peut-être veulent-ils croire que le