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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/128

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Ces mourants ont tué beaucoup d’hommes. Essayons de suivre ces penseurs sans Jugement dans les limbes où ils veulent nous promener. Adorateurs du Fait, en eux-mêmes et autour d’eux. Décomposants et décomposés, d’après la sévère loi qui exige que les parties aient encore des parties. Ainsi laissant agir en leurs pensées toutes les forces extérieures ; et donnant à la Nécessité figure de Raison. Non pas seulement en ces choses qu’il faut subir, comme la pluie ou la neige, mais en ces choses qu’il faut vouloir et qui ne seront que si on les veut, comme Justice et Paix. Le tout mêlé. Travail de Haute Police, que je n’avais pas assez compris, mais qu’ils m’ont assez expliqué en ces tristes années.

Hommes tristes, profondément tristes par cette pensée ouverte à tous vents ; et, faute d’ordres bien précis, pensant leur propre humeur, et se regardant vieillir au dedans. Toute fureur s’augmente dès qu’elle est acceptée ; la loi de ces pensées sans courage est qu’elles vont à un genre de frénésie, dont l’ambition, l’intérêt et la pudeur les gardent mal. Aussi ai-je vu plus d’une colère dans ces yeux inquiets. Contre tout ce qui espère, contre tout ce qui ose, contre tout ce qui veut. Contre jeunesse qui reste jeune ; contre vieillesse qui reste jeune. Eux aigres, ambitieux, accablés, égarés. Mais la Force extérieure, avec son vrai visage enfin, les a délivrés par la puissance de l’Ordre Écrit. Ainsi trouvant leur être vrai, en ce déchaînement mécanique, ils ont retrouvé puissance en la Soumission Forcenée. Ce n’est pas ici un portrait, mais plutôt un miroir pour chacun. Car qui est sans faute ?