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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/13

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AVANT-PROPOS

Sous la protection, je le voudrais, du bon Hercule, le seul dieu qui soit vénérable, j’ai dessiné ici le visage ambigu de Mars, dieu de la guerre. Scrupuleusement, en vue de n’offenser ni la Patience, ni le Courage, ni la Justice, j’ai suivi la sagesse de ce double mythe, par où les anciens font voir qu’au milieu même des combats ils n’ont jamais confondu deux hommes que pourtant Nature nous offre toujours attachés et mêlés. Laissant donc l’Hercule nu, au cou penché, qui observe et fait, j’ai suivi et retracé en ses attitudes le dieu vaniteux, triste et méchant, droit dans le costume, et tête levée, sans me prendre à ce regard équivoque, où la peur menace.

Vénus est jointe à Mars dans l’antique allégorie, à bon droit. Et ce langage muet est aussi prophétique, puisque Vulcain guette leur rêve charmant, joignant déjà par un lien de fer l’ivresse des passions à son art mécanique. Mais, dans mon analyse, sévère en tous les sens, et trop abstraite peut-être, la forme féminine s’est trouvée dissoute. Car c’est en l’homme infatué que la femme prend puissance de nuire. Aussi cet œil comédien, ces ruses sans projet, cette flatterie du faible, cet art d’orner le plaisir, tous les mensonges enfin de l’élément subordonné, sans oublier la peur essentielle, tout cela, qui est grâce de nature, s’exprime en Mars par la Nullité Inflexible. D’un côté l’Amour qui se change en haine vide l’esprit de toute substance ; mais aussi l’odieux en la femme est si absolument trompeur que l’art seul y trouve objet, par de fantastiques apparences. Donc Liluli suffit.

Mais Mars a plus de consistance, car il fait système de tout, reprenant en projets et décrets ses cris incohérents, et préméditant la convulsion. Il fallait vaincre cette redoutable Apparence. Le voilà donc ce Monstre ici en morceaux, et pourtant reconnaissable si j’ai su rassembler ici et là ses traits hétérogènes en poésie courte.