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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/134

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Albéric Magnard, par exemple, tirant de sa fenêtre jusqu’à épuisement de ses munitions, a certainement gagné la guerre pour son compte, détruisant, au prix de sa vie, qui avait une valeur militaire nulle, trois ou quatre jeunes combattants, peut-être. »

« Je ne vois pas, dit-il, où vous visez ; il est assez clair que, selon les mœurs et les lois, ce genre de guerre n’est pas d’obligation stricte, mais laissé à chacun selon sa nature. »

« Et je veux seulement constater, lui dis-je, que votre fureur, suite d’esclavage et d’humiliation, n’allait pas jusqu’à vous faire déclarer ce genre de guerre pour votre compte. »

« Vous me prouvez, dit-il, que je n’ai rien d’un violent et je le sais bien. Mais où tend ce discours ? »

« À ceci, mon cher, que, hors de toute obligation stricte, et pour céder seulement à des sentiments vifs, vous déclariez pour votre part, en novembre 1919, un supplément de guerre qui aurait été fait par d’autres, et sans aucun danger pour votre vie. Or il se peut bien, je ne discute pas là-dessus, que les intérêts, le jeu des pouvoirs, la nécessité inflexible, nous fassent consentir quoique sans bonheur à sacrifier la vie des autres. Mais, autant qu’il s’agit d’un plaisir de vengeance, ma morale à moi, que je croyais la vôtre, exige que l’on se venge soi-même et à ses risques ; c’est la seule excuse que je trouve aux sentiments violents, quelle qu’en soit la nature, car le risque les modère naturellement. Et c’est une raison forte de ne pas être indulgent à la haine que l’on éprouve, dès qu’on ne la signe pas de son sang. »