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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/169

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CHAPITRE LXXVIII

DE L’ORGUEIL

J’ai trouvé dans Hegel, entre tant de vues profondes sur la nature humaine, une idée qui m’a étonné d’abord, et qui m’a été ensuite un secours pour surmonter ce grand et énorme Sujet. Vous savez comment procède ce Penseur à discipline, toujours par oppositions et réconciliations, ce qui représente déjà assez bien les guerres intestines d’une pensée en travail. Les artifices mêmes de cette méthode dialectique ne m’étonnent point ; il faut bien des précautions et plus d’une marche oblique si l’on veut prononcer utilement au sujet de cet étrange animal. Voici donc l’idée. Une Conscience de soi s’éveille à elle-même et mesure son étendue et son pouvoir ; son étendue qui contient tout, et son pouvoir qui est de juger universellement. Ce moment, qui est de Jeunesse pensante, est naturellement abstrait et vide par l’ambition même ; c’est toute la richesse humaine, mais en prétention seulement. Observons que toute idée à sa naissance représente ce moment de la Suffisance, qui est aussitôt Insuffisance. Ce conflit de soi avec soi ne va jamais sans un peu de colère, qui, surmontée, fait la Modestie, fille d’orgueil. Mais ne suivons pas par là. Ce que je veux considérer, avec notre auteur, c’est la rencontre de cette Conscience de soi avec une autre Conscience de soi, qu’elle reconnaît comme telle. Ce qui résulte aussitôt d’une telle rencontre c’est le Combat d’où naîtra aussi l’Amitié véritable, fille de Guerre. Ici le lecteur le moins attentif reconnaît un mouvement humain sous mille aspects ; et j’aperçois aussitôt que c’est faute sans doute d’avoir pu combattre que les faibles en restent à la haine, barrés désormais et butés, sans développement possible.

Toute rencontre d’idée, toute prétention contre prétention passe par une telle colère, et la dépasse. C’est pourquoi une discussion irrite toujours au premier moment ; car il faut que les pensées s’accordent, et elles ne peuvent ; comme deux rois absolus ; et ce premier choc