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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/174

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Sénégalais était réputée à juste titre. Mais le lecteur étranger au rude métier des armes ne voudra point croire que la contrainte fasse des héros. Il ne voudra point le croire, dis-je, parce que son esprit ne peut porter cette sauvage idée. Le comte de Maistre non plus ne peut la porter ; aussi il la renvoie à Dieu. La guerre acceptée, ordonnée, honorée, cela suppose à ses yeux « quelque loi occulte et terrible qui a besoin de sang humain ». J’ai observé souvent que des catholiques, par ce secours d’un Dieu incompréhensible, arrivent à mieux penser que d’autres les problèmes qui blessent la vue.

Pour moi je m’en tire autrement et à ma mode, étant assuré que cet étonnant mélange d’esclavage et d’héroïsme s’explique par l’ordinaire humain, sans aucune mystique supposition, comme j’ai voulu le montrer dans ces pages, sans déguiser rien de ce qui paraît au premier moment incroyable et impossible. Il ne restait que ce chemin-là, ou mentir à soi, comme je vois que font beaucoup. Seulement cette précaution mauvaise interdit d’agir et de changer ; au lieu que la connaissance des causes offre aussitôt mille prises, laissant certes difficile ce qui est difficile, mais sans aucune idée d’un destin invincible et effrayant. Remarquez encore que l’autre idole d’un progrès assuré qui viendrait par des institutions meilleures est brisée aussi. Sous n’importe quel régime les jeunes devront payer de leur sang l’acquiescement, la flatterie, la lâcheté d’esprit de tous. Au lieu que, sous n’importe quel régime, le plus grand des maux sera écarté, un jour après l’autre, par le clair regard de tous et la tranquille résistance.