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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/191

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CHAPITRE LXXXIX

PAR LES CAUSES

Où tendent tous mes discours ? À faire connaître la guerre par ses causes réelles, ce qui détournera du Fatalisme religieux. Ce sentiment est bien fort, et voici par quel mélange. D’un côté cette catastrophe périodique, que chacun déplore et à laquelle chacun concourt ; qui se fait par des volontés humaines, et contre les volontés humaines ; qu’il suffirait de nier et qu’on ne peut nier ; que l’on prévoit, et qui n’en arrive que mieux ; qui réussit par les précautions que l’on prend contre elle ; qui s’impose parce qu’on la craint ; qui, parce qu’elle a été, sera, comme une folie. Et cela jette les uns dans l’attente passive, et les autres dans une impatience à marcher selon le destin. Les uns et les autres pensent, à la manière de Tolstoï, que l’histoire est soumise à quelque loi cachée et inéluctable ; ainsi le Surhumain se montre au dessus des fumées.

D’un autre côté le souvenir des héros morts, la gloire, les défilés et les parades éveillent, dans l’âme la plus froide, des émotions invincibles ; la force humaine est adorée ; j’insiste ; non pas seulement acceptée comme nécessaire, mais bien réellement adorée. Ce culte est le seul culte à présent ; aucune autre religion ne modère les effets de celle-là ; et qui ne trouve pas d’incrédules parce qu’elle ne trouve pas d’insensibles ; le seul moyen d’échapper à cette fête de la Victoire était de n’y pas aller. Par de telles émotions que le souvenir ravive si bien, la Fatalité est embellie. Il se forme une mystique de la guerre, et un fanatisme. Un pessimisme enthousiaste, telle est à peu près la doctrine.

Contre quoi je dis qu’il faut comprendre par les causes. Et d’abord, contre l’émotion, qui est esthétique, analyser le rythme contagieux, comprendre le prix de l’ordre humain, pour l’homme spectateur et encore plus pour l’homme acteur ; saisir ce singulier rapport, mais