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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/20

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pensant seulement à cet ordre humain qui va, je sens que je voudrais aller aussi. Mais le spectacle lui-même trompera encore mon attente. J’irai. J’irai.

Par ces caractères, je dis que la chose militaire est proprement esthétique. Et je remarque qu’il n’y a point d’autre art populaire en ce temps-ci, ni même d’art qui soit comparable à celui-là, par la puissance et la perfection. Chacun y est pris. Chacun y sera pris. Oui les morts seront oubliés ; et les erreurs aussi ; et les mensonges ; et les froides et tristes réflexions nées de solitude.

Il faut savoir que le beau est ce qui met l’esprit des hommes en mouvement. Le vrai même est faible à côté ; et le bien est austère quand on s’y met. Je tiens que l’amour de la vérité est faible, quoiqu’assez bien dirigé toujours, s’il n’est payé ; c’est pourquoi, dans les discussions, les passions tristes finissent par régner. Au lieu que l’amour du beau efface tout et guérit cette âme inquiète et faible. Aussi cette mystique de la guerre, née d’un spectacle, régnera toujours et sur tous. Semblable en cela à l’esthétique religieuse, mais plus puissante encore par son mouvement accéléré. C’est par là qu’on saisit la parenté, étrange autrement, de l’esprit militaire et de l’esprit religieux ; ce que l’oreille musicienne, au Te Deum, saisit très bien.