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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/25

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CHAPITRE VI

DE L’OBLIGATION

On ne doit pas de reconnaissance à celui qui paie ce qu’il doit, dès qu’il ne peut pas faire autrement. Et certes je puis supposer qu’il me paierait encore s’il était libre ; mais je puis supposer le contraire aussi. Lui-même n’en sait rien, puisqu’il ne peut se poser la question en termes non ambigus. Le devoir, dans le sens plein du mot, suppose une délibération à part soi, dont tout dépend, sans aucune contrainte. Or chacun sait que, pour le devoir militaire, la contrainte est fort brutale. Un Français ne peut donc choisir de servir son pays sous les armes ; il peut choisir seulement d’être chef, et c’est là un choix raisonnable, ou bien un choix de la passion ambitieuse. J’entends, il est vrai, de belles phrases ; mais je remarque aussi de l’enthousiasme au départ des simples conscrits, à l’égard desquels la contrainte s’exerce sans façon. Cela me mettrait plutôt en défiance, car le sacrifice vraiment libre serait plus fort de lui-même, sans aucun secours des signes, donc plus silencieux il me semble. Quelque pénible à entendre que soit ce genre de remarques, il faut pourtant y porter son attention avec une franchise entière. Si nous mentons là, l’image de la Guerre est aussitôt brouillée, et toute la suite des discours se tiendra dans le convenable et dans l’apparence. Tous sont forcés ; il y en a seulement un bon nombre qui courent plus vite que le gendarme ne les pousse. Je les plains tous ; j’admire la résignation et la bonne tenue de la plupart ; mais admirer ici une libre résolution, un don volontaire que chacun fait de soi-même à la patrie, je ne le puis. J’attends quelque décision d’un homme entièrement dégagé de toute obligation militaire ; par le jeu des institutions et les communs effets de l’âge, il n’y en a pas beaucoup. Mais, par ces raisons mêmes, il y faut une volonté de fer.

Et encore remarquez que l’art militaire, fondé d’après une longue expérience, n’admet point du tout l’engagement résiliable, ni même à