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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/40

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il n’y a jamais aucune bonne raison de se soumettre à la volonté de l’ennemi, soit qu’on se rende prisonnier, soit que l’on recule. Comme un fantassin, qui y a laissé depuis ses os, me l’expliquait bien, c’est au moment où l’ennemi s’avance sur un terrain dévasté et rendu inhabitable, c’est au moment où il juge que la victoire sera facile qu’il suffit de quelques coups de feu pétillant sous son nez et d’une vive sortie, même d’un petit nombre, pour que l’étonnement se change en déroute. Inversement, dans l’attaque, l’expérience fait voir que, quelle que soit la nappe de projectiles, il faut toujours que quelques groupes pénètrent au delà ; et le spectacle de cette avance, jugée impossible, a souvent brisé la résistance. Il faut donc essayer, sans aucune faiblesse ni hésitation ; et aborder des positions imprenables, et tenir en des positions intenables. Le nombre des hommes qui tombent n’y fait rien ; tout dépend des renforts qui arrivent ; et le combattant n’est pas juge. Au commencement, l’ennemi savait cela mieux que nous. Sans doute nous comptions plus que lui sur l’ardeur naturelle, la colère, la chaleur du sang, l’amour de la gloire, qui ne suffisent pourtant jamais sans une contrainte inflexible et des sanctions immédiates. Enfin si un homme qui a donné mille preuves de son courage se couche trop tôt ou ne se relève pas assez vite, le tuer. Tel est l’ordre du combat, chacun poussant l’épée aux reins de celui qui le précède, et sentant une autre pointe derrière ; en sorte que nul ne peut savoir si ce n’est pas une grande peur qui va à l’assaut. Contre quoi il n’y a qu’une consolation, qui est d’admirer et d’acclamer les vainqueurs ; mais le visage de la Guerre n’en est pas touché comme on pourrait croire. Indéchiffrable. Il craint la pensée. Et ce n’est point fausse modestie, sachez-le bien.