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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/50

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tement de soi, la joie de commander ou le plaisir de vaincre, j’ai méprisé. Tout plaisir est vil qui fleurit sur la mort.

Que dire alors de ces comédiens vieux ou fatigués, qui, de la jeunesse des autres, faisaient arme et menace, et qui se donnaient le honteux plaisir de mépriser et d’insulter l’ennemi, sachant que d’autres paieraient ? J’ai saisi plus d’une fois, au temps de la paix, cet étrange regard du héros valétudinaire, fixé sur moi et mesurant mes quarante ans bien passés. « Oui, tu cherches la paix ; et tu feras la guerre, parce que moi j’insulte. » Il y a du Recruteur dans cet œil, et de l’enfant méchant aussi. On ne hait point un enfant méchant ; mais ne lui donnez pas la maison à gouverner. Peut-être tous les faibles sont-ils guerriers.

Cette page, assez amère, peut être bonne à lire pour les femmes, qui ne sont point faibles, mais autres. Leur faute serait peut-être d’agir comme les hommes faibles, et de menacer en laissant à d’autres de frapper. Qu’elles pensent une minute à ce rôle honteux qu’ont joué peut-être quelques-unes. À presque toutes il a manqué peut-être un amour moins passif, qui saisirait mieux chez le héros timide les signes de l’intrépidité. Mieux assurées, alors, de la force d’âme masculine, elles ne voudraient plus l’éprouver en ces massacres qui l’anéantissent aussitôt, pour le triomphe des faibles et des poltrons.