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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/61

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CHAPITRE XXIV

DE LA RÉVOLTE

Quand le duc de Parme demande à Fabrice si le roi de Naples est aimé, Fabrice répond à peu près ceci : « Je ne me soucie point de savoir si les sujets du roi de Naples sont contents. L’armée est bien munie et parfaitement disciplinée. Qui s’inquiète après cela si la canaille aime ou n’aime pas. » Voilà la pensée d’un aristocrate, et sans aucune hypocrisie. L’amour plaît aux princes, mais comme la dernière marque de l’obéissance. Ceux qui ont goûté au pouvoir ne supportent pas la moindre tricherie là-dessus ; essayez de faire entendre au Maître que vous obéissez parce que vous le voulez bien ; rien n’est plus froidement reçu ; cela est presque impertinent. Mais, d’un autre côté, il est presque impossible que l’on soit aimé si l’on commande ; et le regard de l’esclave, toujours effrayant à voir, affermit bientôt le maître dans les sévères maximes du pouvoir absolu. Au reste il s’élève toujours un peu d’amour dès que le maître ne fait pas tout le mal possible. La crainte d’abord. Je n’aurais point compris sans peine cette rude méthode ; mais je l’ai vue à l’œuvre. J’ai relu Tacite sur les visages. Dans cette épreuve, et quand le plus prochain pouvoir, lui-même éperonné, frappe selon une infatigable vigilance, l’homme de troupe se tortille comme un serpent, prenant mille formes que le regard ne peut suivre. Nos rois et nos rhéteurs ignorent ces mouvements-là, comme le préfet de police ignore la lutte des poignets contre les menottes. L’homme de troupe pourrait raconter ces choses ; mais je remarque que l’homme de troupe oublie beaucoup.

On sait qu’il n’y a jamais eu de guerre sans quelque mouvement de mutinerie. De tels événements sont mal connus, et toujours expliqués par des causes accidentelles, comme la mauvaise nourriture, ou une bataille malheureuse, ou la faute lourde d’un chef. Comme si l’on voulait oublier et faire oublier. Selon mon opinion, de telles causes