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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/80

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dans l’esprit une infatuation surtout sensible quand l’esclave est soupçonné d’en savoir autant que le maître. La sottise, déjà assez vigoureuse en chacun, devient énorme par cette nourriture et par cet exercice.

Les individus n’y sont pour rien ; chacun sera sot autant qu’il est roi. Exactement autant qu’il fera faire, au lieu de faire. Toutes les exceptions que chacun pourra citer s’expliquent par là. Contrôler l’obéissance, ce n’est point faire. Là se trouve la coupure, que bien peu ont franchie. Et toujours le pouvoir se ramasse, dans le réduit d’où l’on surveille, où l’on s’irrite, où l’on menace. Il y a de l’ambiguïté dans les mots, parce que celui qui commande doit aussi obéir ; mais il n’y a pas d’ambiguïté dans le fait, car, transmettre un ordre, ce n’est pas obéir. Or, par l’institution, et par l’appétit de commander, j’ai vu que les chefs s’efforcent en tout d’être chefs, et de penser qu’ils sont chefs, et de se séparer de l’action dès qu’ils le peuvent. C’est pourquoi la guerre, en dehors des maux atroces et assez visibles, sur lesquels je crois inutile d’écrire, rétablit l’ordre ancien, barbare, détesté qui fait voir, par un mécanisme inflexible, les meilleurs à la roue, et les pires levant le fouet. Et j’insiste là-dessus, parce que le souvenir des fatigues et dangers est souvent agréable, au lieu que le souvenir de l’infatuation dorée fera toujours bondir cet animal singulier, qui supporte mieux la faim et la douleur que l’injustice.