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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/85

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CHAPITRE XXXVI

QU’AS-TU APPRIS ?

Dis-moi, qu’as-tu appris à la guerre ?

J’ai appris d’abord à mieux compter sur cette mécanique vivante, que je croyais fragile. Aussi je n’écoute plus ses faibles plaintes et réclamations, comme je faisais ; car je me suis assuré par une longue expérience que la crainte d’être malade est la cause principale des maladies.

Encore, qu’as-tu appris à la guerre ?

J’ai appris encore à mieux goûter la joie d’être vivant. Je mange, je bois, je respire, je dors avec bonheur. Par cette précieuse bonne humeur, je suis disposé à ne pas m’inquiéter beaucoup des petites choses.

Encore, qu’as-tu appris à la guerre ?

J’ai appris à aimer les chaussures larges et les cols mous, parce que j’ai porté longtemps la livrée du pauvre. Enfin j’ai perdu cette habitude bourgeoise que j’avais de vouloir imposer par l’extérieur. C’est un souci de moins.

Encore, qu’as-tu appris à la guerre ?

J’ai appris à décider vite et à exécuter avec réflexion, parce que l’expérience m’a fait voir que la destinée de chacun dépend moins de l’action décidée que du chemin suivi. Autrefois je délibérais avant de commencer, ce qui est craindre avant de savoir.

Encore, qu’as-tu appris à la guerre ?

J’ai appris que les choses ne nous veulent ni mal ni bien, et que, si dangereuses qu’elles soient, on peut toujours compter sur elles, ce qui fait que chacun surmonte à chaque instant la destinée par attention et prudence.

Encore, qu’as-tu appris à la guerre ?

J’ai appris que rien n’est plus utile à l’homme que l’homme, et que rien n’est meilleur pour l’homme que l’homme.

Étrange ! Mais encore, qu’as-tu appris à la guerre ?