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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/143

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XLI

SUBTILITÉS SUR LE MENSONGE

Assurément il est honteux de mentir ; je vois même très bien pourquoi. Notre corps est ainsi fait qu’il exprime naturellement tout ce que nous pensons ; ou, pour dire mieux, nul ne peut penser sans exprimer ; le geste dessine la chose et le sentiment ensemble. Il faut que mes mains s’ouvrent si ma pensée est généreuse ; et il n’y a point de restriction mentale sans que les mains fassent le geste de reprendre ou de garder. Cette expression par le geste peut être connue jusqu’au détail. La voix n’est connue aisément que par l’effet ; les dispositions de la gorge et de la bouche sont moins aisément perçues que ne sont les gestes, mais sans doute elles dépendent tout autant de l’attitude, qui est préparation, et il faut toujours que je me prépare selon mes pensées. Cette poésie ne peut donc mentir. Celui qui ment en gardant sa pensée fait donc une œuvre ingrate et se garrotte lui-même ; et cet effort musculaire contre soi, sans mouvement extérieur, est ce qui fait rougir le menteur. L’aveu est délivrance, et chacun le sent bien.

Mais ici la morale commune fait voir un détour. Car, à l’égard de cette franchise qui ferait scandale, la société des hommes exerce une énergique con-

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