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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/162

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temps le surmonter. Je considère encore un exemple plus proche ; si je crois que ce que je vais écrire existe déjà, je ne vaux pas mieux que ces fous qui écrivent en dormant. Cela revient à dire que la pensée que je cherche est comme un navire encore invisible, et qui va se montrer ; c’est exactement l’état du fou. Un fou est un homme qui prend pour ses vraies pensées le premier aspect de ses pensées ; mais un homme raisonnable conduit ses pensées. Cette idée demande une grande attention. La seconde chose à dire est que ce qui va de soi et qu’on laisse aller est toujours mal. Par exemple la guerre va de soi, au lieu que la paix ne va pas de soi. La guerre a pour soi que sans la vouloir on l’accepte ; la paix a pour soi qu’il faut la vouloir, et qu’elle n’est jamais si on l’attend seulement. En sorte que le pessimisme est vrai si on ne veut rien. C’est le silence de la nature sans l’homme. Au lieu que l’optimisme n’est vrai que par volonté ; entendez que ce qui est bien n’a absolument aucune chance d’être si on ne le veut pas, et si on ne se croit pas capable de le faire. Espérer sans essayer est une faute ; mais essayer sans espérer est le pire mensonge à soi.

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