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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/184

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

n’y avait point de danger. En était-il sûr ? Celui qui annonce la paix n’est jamais sûr qu’elle sera. Celui qui annonce la guerre, non plus. Il faut donc chercher le meilleur, c’est-à-dire parler et agir de façon que le meilleur soit le vrai. Mais où est la limite du mensonge pieux ?

Spinoza dit que, dans les entretiens, il faut parler sobrement de la faiblesse humaine et de l’esclavage humain, et au contraire amplement de la puissance humaine et de la liberté humaine. L’un est-il donc plus vrai que l’autre ? Non ; mais il est meilleur que l’un soit vrai, et non pas l’autre. Prouvez à un ivrogne qu’il ne peut s’empêcher de boire ; cela ne risque que trop d’être vrai. Prouvez-lui qu’il peut s’empêcher de boire. Cela ne risque que trop d’être faux. On peut même dire que le meilleur a toujours trop de chances de n’être pas vrai. Mais je vois ici cette différence que le vrai de la passion ou du crime n’a pas besoin de nous ; il va de soi ; au lieu que le vrai de l’honnête et du juste a grand besoin de nous et ne sera vrai que si nous voulons qu’il le soit. Ainsi de la guerre et de la paix. Le vrai de la guerre va de soi : il n’y a qu’à laisser aller ; le vrai de la paix ne va pas de soi ; il faut vouloir la paix. Et qui alors est dans le vrai ? Platon mettait le bien au-dessus du vrai, et je vois pourquoi. Mais le bien c’est le vrai bien ; ainsi le vrai surnage toujours.

Il faudrait piocher hardiment et retourner le terrain trop foulé. Il n’y a rien de vrai dans les sciences si l’on nomme vrai ce qui est ; car ce qui est change et se dérobe. Le vrai vrai, si l’on peut dire, est cette

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