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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/186

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LIII

LA FATUITÉ RAISONNABLE

Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est violent, on entend qu’il ne sait pas retenir ses actions ; par exemple un coup de pied ou un coup de bâton. Si l’on dit qu’il est nerveux, on exprime, il me semble, qu’il ne sait pas retenir les signes. Et les signes sont de deux sortes ; les uns sont des commencements d’action, comme grincer des dents, se mordre les lèvres, serrer les poings, frapper du pied ; les autres sont les effets physiologiques d’une émotion, comme pâleur et rougeur, sueur, larmes, tremblements, et choses de ce genre. Le nerveux se distingue du violent en ce que, bien loin de nuire aux autres, au contraire, il se découvre à eux plus que de raison, et se fatigue, et s’agite lui-même jusqu’à se rendre inférieur lorsque le moment d’agir est venu. L’inquiétude, l’agitation, une sorte de peur sans motifs caractérisent le nerveux.

Le pouvoir d’inhibition est ce qui s’oppose le plus directement à ces manifestations intempérantes ; et le principal de toute éducation consiste à fortifier ce pouvoir par l’exercice, car il est évident que celui qui ne peut retenir les signes est premièrement impoli, et surtout si les signes n’ont point de sens ; il est impoli de faire voir qu’on se moque, mais il l’est

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