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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/188

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

trouver un état équilibré du corps, soit dans l’action, soit dans le repos. Quelqu’un m’a fait remarquer, ce que tous auront occasion de vérifier avant huit jours, que si l’on se tient presque debout dans l’auto, comme si l’on se préparait à intervenir à chaque alerte, on se maintient dans une sorte de peur, qui vient de ce qu’on se prépare à agir sans d’ailleurs pouvoir agir. Maintenant, disposez-vous selon le repos, c’est-à-dire presque couché et tout à fait détendu, vous arriverez aussitôt à l’indifférence ; et il est clair que, dès que l’agitation ne peut servir, l’indifférence est le mieux. Et voilà pourquoi la politesse, qui est presque toute une indifférence apprise, a tant d’importance pour le succès et le bonheur. Non seulement elle dispose à plaire aux autres, mais elle nous dispose nous-mêmes selon le repos.

Je croirais assez que l’extrême fatigue qui accable souvent dans les grandes affaires vient principalement d’un défaut d’éducation. Le naïf s’irrite en écoutant un ennuyeux ; l’homme bien élevé n’écoute guère, et prend souvent occasion d’un discours confus pour prendre un peu de repos. Heureux donc les flegmatiques ; mais je pense que l’on doit se faire flegmatique si on ne l’est pas. Et un bon moyen à cette fin est de se donner un modèle parmi les gens qui ne permettent jamais à aucune chose de les intéresser malgré eux. Cette espèce est celle du fat, être ridicule, quelquefois odieux, mais dont le sage peut encore tirer quelque leçon ; car on remarquera bien vite que le fat a un immense avantage sur la plupart des hommes, et exerce sur eux une sorte de fascina-

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