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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/211

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LES HUMANITÉS, RÉGULATRICES DES PENSÉES

moration, célébrant à nouveau ce qui a été célébré, reprend élan dans le sens de l’histoire, et a toutes chances de rejoindre les mouvements de masses, si obscurs. Or, à regarder, même sommairement, comment ont couru les générations dans notre pointe d’Europe, on admettra aisément qu’elles ont couru grec, et qu’elles ont couru latin. Le latin est plus politique ; le grec est plus anarchique. Il a fallu les deux pour faire cet esprit contemporain qui m’est si bien caché par le bavardage contemporain. Donc, quand je lis Homère, c’est une manière de rejoindre les camarades.

Maintenant, si je lis Shakespeare, où est la différence ? Si je lis Dante, où est la différence ? Sans nier les immenses ressources des littératures germanique, anglaise, espagnole, italienne ou russe, je veux dire seulement la différence. La différence, c’est que ce bavardage mort-né qui recouvre chaque jour nos esprits, et nous fait déraisonner chaque matin selon une mode qui change plus vite que les chapeaux, c’est que ce bavardage est français, allemand, anglais, italien, espagnol ou russe, et conduit, comme il est inévitable, par ceux qui ont appris quelque grimace étrangère, ou toutes. Et, comme il n’y a guère de héros qui ait voulu apprendre toutes ces langues par grammaire et poésie, quand il est si vite fait de les apprendre par grimace, je crois, et souvent je vois, que les grands auteurs étrangers grimacent encore à travers leurs interprètes, auxquels il ne manque que la casquette. Et bref, savoir une langue étrangère et vivante, c’est premièrement

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