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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/26

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

La peur est déjà une preuve assez forte. Mais quand il s’agit de l’univers humain, la peur fait des preuves réelles, et l’expérience donne ce qu’on attend. Si je crois qu’un homme m’est ennemi, il ne se peut pas que je ne le montre, et l’homme devient ennemi, par la vertu des signes ; méchant celui que je crois méchant, par les signes ; perfide celui que je crois perfide. Mais amical et bon de même celui que je crois amical et bon ; juste celui que je crois juste ; toujours par les signes ; et au delà de toutes limites, vraisemblablement ; car ces généreux essais ne sont point faits souvent ; et quand ils sont faits ils sont mal faits ; un grain de peur y reste toujours, qui gâte l’expérience. Ainsi l’expérience humaine est chargée de preuves menteuses, réelles pourtant. La guerre tourne en ce cercle, et creuse la piste, dont on ne sait plus sortir. Nos prophètes de malheur en sont déjà à voir les avions allemands au-dessus de Paris ; cette pensée, d’ailleurs sans issue, va régler toute notre politique, si nous n’y prenons garde ; et la chose sera à la fin, par la peur même. Expérience menteuse. Pour voir le juste, d’un homme ou d’un peuple, il faut oser et vouloir.

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