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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/263

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LIBERTÉ N’EST QU’UNE IDÉE

ter de là ; il faut s’aider soi-même et croire qu’on peut s’aider soi-même. Et la preuve ne peut être qu’une épreuve. Un premier effort et un premier succès me donneront confiance. À force de vouloir, je saurai vouloir.

Tel est le ressort de tout enseignement. Ressort dans l’élève, qui dans le fond n’a rien d’autre à apprendre que la puissance du vouloir, d’après des expériences graduées. Ressort dans le maître aussi, qui se trouvera promptement désespéré s’il s’abandonne. Et chacun remonte son sac plus d’une fois par jour. Chacun se dit : « Il ne s’agit pas de savoir si j’ai encore le courage de travailler. Il faut s’y mettre ». C’est vouloir, non savoir. C’est se commander la foi en soi-même : et toutes les subtilités de la liberté réelle se trouvent rassemblées ici. Le courage, au sens où tout le monde l’entend, se trouve à l’origine de la moindre pensée. Quand on se met à réfléchir, il ne s’agit pas de savoir si l’homme est capable de réfléchir, ou si sa pensée est une sorte de délire assez commun. Cette question même coupe la réflexion ; et voilà le fond de la paresse. Le paresseux est un métaphysicien, qui se voit prédestiné à ne rien faire. Et en effet toute idée de prédestination est métaphysique. La liberté est au contraire une idée positive et pratique ; ou, pour parler autrement, c’est le premier postulat de la dignité. L’idée de révolte y est toute comprise ; et je dirais même que la liberté est subversive par elle-même ; c’est la grande révolte.

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