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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/276

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

crois pas qu’on puisse égaler les militaires ; toutefois on peut leur prendre quelques bonnes règles. Le maréchal Joffre reçut un matin un nouveau chef de service des opérations extérieures, qui commença par chercher un petit moment Monastir sur la carte ; c’en fut assez, il ne voulut plus le voir.

Il faut donc savoir aussi être tyran. Mais je crois que le pouvoir balaie les hommes insuffisants par la force même d’un travail bien réglé. Les scrupules viennent toujours de pensées non prévues qu’on laisse entrer. Et la sévérité consiste à ne jamais examiner, faute de temps pour examiner. En présence d’une merveilleuse machine qui exprime si bien une inflexible volonté, l’homme qui ne peut suivre l’allure disparaît et renonce de lui-même. Et c’est un immense avantage du travail réglé, que l’on communique, sans même y penser, une impulsion irrésistible à tous les exécutants. Il faut se dire que l’homme dont on sait à une minute près ce qu’il demandera et quand, même s’il s’agit de sa toilette, sera toujours merveilleusement servi.

Je ne dois pas oublier la méthode anglaise du repos total ; cet art de ne pas travailler fait partie du travail ; il y a une heure à partir de laquelle on refuse de réfléchir. Et cela conduit à l’art de dormir, qui est le principal de l’art de travailler. Le mot célèbre d’un ancien : « À demain les affaires sérieuses ! » a bien plus de profondeur qu’on ne croirait. Hors de l’emploi du temps il n’y a plus d’affaires. Et c’est le plus difficile de tout de clore l’audience à ses propres pensées. Il s’agit de refuser de penser à ce