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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/307

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LES ÂNES ROUGES

à fait de la même manière que ces banquiers, qui sont des poètes, et qui obtiennent un nouveau bail de confiance ; ils n’aiment pas, eux non plus, douter de leurs merveilleuses valeurs ; et les actionnaires assemblés n’aiment pas douter non plus ; l’expert-conseil, si bien payé, ne doute pas davantage. Certes il est agréable de croire à sa propre richesse ; mais par-dessus tout il est agréable de croire à quelqu’un ; et cet homme, à qui on croit, est heureux aussi d’être cru, et de croire ceux qui le croient, et de se croire lui-même. C’est par ces causes que tous les rois sont sans discernement. L’homme n’est pas dans une situation telle qu’il puisse jamais s’offrir le luxe de croire.

Croyance, c’est esclavage, guerre et misère. Et, selon mon opinion, la foi est à l’opposé de la croyance. La foi en l’homme est pénible à l’homme, car c’est la foi en l’esprit vivant ; c’est une foi qui fouaille l’esprit, qui le pique, qui lui fait honte ; c’est une foi qui secoue le dormeur. En toutes les ligues, en toutes les associations, en tous les états, il se montre un bonheur d’acclamer, d’approuver les comptes, et de dormir, en haut, en bas, pendant un an, comme si les statuts pouvaient penser. Il y a aussi en ces assemblées de vrais croyants, un petit nombre de ceux que j’appelle les ânes rouges, qu’on ne peut atteler, qui ne croient rien. Ceux-là ont la foi, la foi qui sauve.


FIN