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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/49

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LE VRAI SAVOIR

construction ; idée. Mais s’il croit que c’est une chose, que c’est vrai, que l’objet est ainsi, il n’y a plus de penseur.

Où vais-je ? Il n’y a qu’un objet qui est l’homme en société et dans le monde. Et chacun, depuis des siècles, a pris le parti de croire avant de savoir. Or, ce croire fanatique est la source de tous les maux humains ; car on ne mesure point le croire, on s’y jette, on s’y enferme, et jusqu’à ce point extrême de folie où l’on enseigne qu’il est bon de croire aveuglément. C’est toujours religion ; et religion, par le poids même, descend à superstition. Suivez les démarches d’un partisan ; même des cris, même une bousculade heureuse lui font effet de preuves. La puissance revient, comme règle de l’esprit ; et, selon la loi de puissance, elle revient toute. Tel est l’esprit de guerre et de domination qui n’est pas seulement dans le despote, mais dans l’esclave aussi. Il y a des choses prouvées ; c’est entendu ; on n’y pense plus ; et voilà la pensée. Or, regardez bien, je dis que le contenu n’importe guère, et que la manière de croire gâte tout. D’autant que le despote raisonnable n’est pas longtemps raisonnable. Il faut donc que les hommes prennent le parti de juger, de penser, de douter. Obéir, il le faut bien ; mais rien n’est plus simple et rien n’est plus sain, si seulement on refuse de croire, si seulement l’esprit se garde. Et vous verriez, sous ces regards attentifs et libres, forts du vrai savoir, vous verriez comme le despote serait promptement un bon petit roi.