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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/83

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XXIII

RÉGLER SES PENSÉES

L’homme qui se connaît sans se conduire est aussitôt malheureux ; je ne sais pas jusqu’où il descendrait ; nul ne le sait, car le désordre est informe ; une peur non surmontée le fait voir aussitôt ; le fait voir aux autres ; car qui se connaît dans la peur absolue ? Les grandes paniques ne laissent point de souvenir ; elles sont sans lumière. L’homme qui s’est connu, qui a franchi le pas, qui s’est gouverné, qui s’est tenu, n’a qu’une idée très incertaine de ce qu’il aurait fait s’il n’avait rien fait. Comme, dans le vertige, si l’on n’y résiste, c’est la plus basse nature qui prend le commandement ; non pas même la peur, mais la pesanteur. Qui observe le vertige à la rigueur, comme un fait, il est chose aussitôt, chose qui tombe. Quant à celui qui a pris des précautions afin de ne pas tomber, il a changé le fait ; car il est sûr de ne point tomber ; ce n’est que jeu.

Savoir ce qu’on pense n’est pas facile ; toujours est-il que cesser de penser à ce moment-là, afin de ne pas troubler l’expérience, c’est une méthode de Gribouille. Il faut faire ses pensées. Essayez de faire seulement une addition sans aucun égard à ce que vous devez penser des nombres, vous aurez

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