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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/93

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DÉCOUVRIR L’ÊTRE DE CHACUN

sent pas ta présence. L’homme a grand besoin de l’homme.

Par ce jugement de l’homme qui cherche l’homme, tous deux sont égaux, sans faveur aucune, ou plutôt par cette vraie faveur, par cette promotion au rang d’homme. Sans aucun doute, Napoléon allait droit à l’être de chacun ; c’était sa manière ; il n’avait que faire du non-être. Ce regard faisait des héros. L’homme qui balaie votre bureau est un héros aussi ; mais il faut chercher le héros : il faut vouloir le trouver ; il faut gratter l’apparence, chercher son semblable, et en soi aussi chercher le semblable. Le mot du chef, le maître mot, est le même que celui du subordonné : « Qu’en puis-je faire ? » ce qui revient à dire : « Quel est son être ? » Une ombre si tu veux : un homme si tu veux. La défiance a toujours raison, car tout homme joue le jeu auquel on l’invite. Mais si l’on observait de bonne foi, on verrait aussi que la confiance, celle que je dis, n’est jamais trompée. Je viens de nommer la bonne foi, qui est la foi ; et voilà ce qui manque. La mauvaise foi dit encore mieux ; car c’est par croire au mal partout et en tous que l’on est injuste premièrement ; les tromperies sont la suite de cette première erreur, car il faut bien que l’on se descende soi-même au niveau où l’on a placé les autres. Et sans doute faut-il se fier aux autres si l’on veut garder bonne opinion de soi.

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