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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/112

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de terre ; il nous tient plus au corps ; les douces larmes en témoignent ; le bien ici a lui-même un corps ; le bien nous touche ; admirez cette impérieuse métaphore. Toutefois, nous sommes encore bien loin d’Hippothalès passant par toutes les couleurs ; nous sommes bien loin de ces cyclones de sang et d’humeurs qui font connaître les amoureux. Songez au dépit, à la colère, au délire, à ce corps qui se tortille au lieu de dormir, comme un serpent coupé. Telle est l’épreuve de tous, et chacun comprend l’hymne : « Éros, invincible aux hommes et aux dieux. » Or je crois qu’il faut regarder de près à ces impétueux mouvements qui résultent, dans le corps humain, d’une si légère touche, la vue, et plus souvent encore d’une image fugitive. Nul n’expliquerait ce trouble étrange par l’attrait d’un plaisir ; chacun estime d’un juste regard l’immense espace qui s’étend entre le désir et l’amour. Tous ces drames que l’on lit, que chacun craint pour soi, et ce nez de Cléopâtre, tout cela est bien loin d’un plaisir court et animal. Tout cela est d’âme, et même d’esprit.