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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/141

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LES PROPOS D’ALAIN

il ne faut pas l’abandonner, mais au contraire lui apporter tout ce que l’on peut avoir de probité et de mérite, etc…

Tout le monde connaît ces raisonnements, tout le monde les a faits, et plus d’une fois ; et nous retombons dans l’ornière. Combien je préfère un acte tout simple, tout net, qui remet le passé à sa place, par un libre décret d’homme libre. Anatole France ne va plus à l’Académie ; il n’ira plus jamais à l’Académie. Curie a refusé la croix. Voilà des discours à la Léonidas.

CII

Au régiment il est de tradition que toute rixe se termine par un duel réglé, à l’épée. Cet usage a cela de bon qu’il fait réfléchir ceux qui donneraient facilement un coup de poing. Quand un homme se laisse entraîner à faire un acte de guerre, il n’est pas mauvais qu’on l’oblige à faire encore la guerre le lendemain, mais volontairement cette fois, avec une vue claire des risques. Il est bon que celui qui a employé la force se rende bien compte de ce que c’est que la force. Quand il a croisé l’épée avec un autre, quand il a vu que sa prudence et son adresse seules le protégeaient contre la pointe de l’adversaire, j’imagine qu’il apprécie mieux les avantages de la paix.

C’est à ce point de vue qu’il faut considérer le duel ; on y verra autre chose qu’un rite et qu’un souvenir des temps barbares. J’ose même dire que le duel ne me semble point barbare du tout. Le duel est au contraire une espèce de leçon pour ceux qui ont le sang trop vif. Il vient un moment, dans les discussions, où l’animal se met de la partie. Il mordrait ; il déchirerait. Enchaînez-le, vous ne ferez que l’irriter encore davantage ; de là une suite d’embuscades, de rixes, de vengeances. C’est alors que le code de l’honneur intervient, et fort habilement.

« Quoi ? dit le juge d’honneur, vous voulez prouver que vous êtes un homme, que vous ne craignez pas la douleur, et qu’on ne vous insultera jamais sans risques ? Eh bien laissez-moi faire. Je vais vous préparer un combat bien plus redoutable. » Ce n’est pas un coup de poing que vous lui donnerez, c’est une balle que vous lui logerez dans le ventre. La colère se rassasie de ces effrayantes images, et voilà