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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/171

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LES PROPOS D’ALAIN

est envers eux. Il est bon de considérer cela, et d’examiner si une politique constamment guerrière est le seul moyen, ou le meilleur, de payer maintenant cette autre dette. Mais remarquez bien qu’en tout cela nous sommes débiteurs, non créanciers.

CXXV

Ceux qui reviennent d’Allemagne font entendre presque tous des propos guerriers. Presque jamais il n’arrive qu’un message de paix passe la frontière. Et que dira l’étudiant qui a fait son tour là-bas ? Il louera la Culture Française ; il l’opposera à la Culture Allemande, pédante, érudite, systématique, orgueilleuse, tyrannique. Je prends pour vrais ces développements un peu trop faciles. Mais faut-il se battre pour si peu ? Mais oui, pour si peu. Je me moque des gens qui vivent d’Esthétique. Ce sont les idées morales qui m’intéressent avant tout. Je veux savoir si les Allemands ont des lois contre la violence et contre le vol, contre l’alcoolisme et contre le choléra, pour la femme et pour l’enfant. Je sais qu’ils en ont. Je sais que le progrès social rencontre chez eux les mêmes obstacles que chez nous ; que la justice semble souvent se heurter à la Justice ; et que beaucoup, chez eux comme chez nous, pensent que c’est la force des classes ennemies qui en décidera. Toutefois, si l’on veut marquer ici les différences, peut-être faut-il dire que leurs socialistes sont plus raisonnables que les nôtres, plus soucieux de l’ordre, et de l’obéissance aux lois ; du moins c’est ce que l’on dit chez nous. Et je conclus, sans craindre de me tromper, que ces hommes-là peuvent faire société avec nous. Sur la culture et sur l’esthétique, on discutera ; mais j’avoue que ce qu’ils appellent la Culture Française est pour moi quelque chose d’indéterminé. Ceux qui se donnent maintenant comme chevaliers de l’Esthétique Française sont des gens à prétentions, qui ont peur de leur plume, et se montrent secs et ennuyeux par crainte du ridicule. Ma foi j’aimerais autant quelque Allemand fort, lourd, naïf, comme le Jean-Christophe de Romain Rolland. Mais enfin cette diversité des natures me plaît, et doit être respectée. Que chacun écrive comme il pense, et comme il pourra ; voilà comment il faut se battre pour la Culture, et repousser les barbares ; et je n’aime