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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/43

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LES PROPOS D’ALAIN

ce n’est jamais vrai. La plus petite défiance gâte tout. Vous dites « pardon » mais il lit « condamnation ». Et son visage répond aussi, et condamne. Ainsi paix ne vaut pas mieux que guerre. « Pardonnez à vos ennemis », c’est mal dit. Non. Mais savoir qu’il n’y a point d’ennemis. Il y a quelque chose de meilleur que d’avoir pitié des malheureux, c’est de les penser heureux ; quelque chose de meilleur que de soigner les malades, c’est de les savoir guéris ; quelque chose de meilleur que d’oublier l’offense, c’est de savoir de science certaine qu’il n’y a point d’offense. Et cette révélation, aussi consolation, est la vérité du repentir.


XXVI

L’autre jour, vers midi, je m’arrêtai près du cadran solaire. Ce n’est pas une aiguille sur un mur ; c’est un cercle méridien dressé au milieu d’une pelouse, et coupé par un cercle équateur sur lequel les heures sont marquées. Au total c’est une sphère évidée qui me représente la terre orientée justement, par rapport au soleil, comme la terre que j’ai sous les pieds. Chaque fois que je considère cet appareil si simple, j’apprends par vue directe quelque vieille vérité que j’avais lue en vain dans les livres.

Ce jour-là le brouillard noyait tout ; la terre était imbibée comme le lit d’un fleuve ; le plein jour traînait comme un crépuscule, et le soleil, pareil à une lanterne de papier rouge, semblait près de son coucher, quoi qu’il fût midi. Avez-vous remarqué comme le soleil est bas à midi vers la fin de décembre ? Non peut-être. Ce sont des choses que tout le monde sait, et auxquelles personne ne pense. Pour un homme à moitié instruit, le soleil est un disque jaune, et la terre est un disque plus petit qui tourne tout autour en suivant une ellipse. Mais je ne pensais pas du tout à la première page d’un atlas de géographie ; j’en étais encore aux apparences.

J’interrogeai le cadran solaire. Je vis que le soleil était bien au-dessous de l’équateur, et justement dans la direction d’une pointe de fer sur laquelle on avait écrit : Tropique du Capricorne. Je pensai à ceux qui habitent ces régions-là ; je me dis qu’ils avaient ces jours-ci le soleil verticalement au-dessus de la tête et qu’il faisait très chaud chez eux. Je me dis aussi que le soleil allait maintenant nous revenir,