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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/151

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LIVRE QUATRIÈME
DE L’ACTION

CHAPITRE PREMIER

DU JUGEMENT


Que l’esprit reçoive la vérité comme la cire reçoit l’empreinte, c’est une opinion si aisée à redresser que le lecteur la considérera avec mépris peut-être. Elle règne pourtant sur presque tous les livres, et sur tous les esprits qui n’ont pas assez inventé en s’instruisant. La faute en est au premier enseignement, qui n’a jamais assez d’égard pour ces erreurs hardies que l’esprit enfant formerait par ses démarches naturelles. Le plus ferme jugement, dès qu’il s’essaie, se trouve pris dans des preuves irréprochables, jusqu’à ne pouvoir même en changer la forme, par l’impossibilité de mieux dire. L’esprit en reste accablé, au lieu de cette forte prise que l’on voit chez ceux qui ont appris seuls ; mais ceux-là s’empêtrent souvent, par la difficulté des choses et la puissance des passions. Les plus heureux