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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/16

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introduction

et du corps humain lui-même, qui réagit continuellement contre les choses, et presque toujours sans notre permission, par exemple quand mon cœur bat et quand mes mains tremblent.

On voit par là que, si la philosophie est strictement une Éthique, elle est, par cela même, une sorte de connaissance universelle, qui toutefois se distingue par sa fin des connaissances qui ont pour objet de satisfaire nos passions ou seulement notre curiosité. Toute connaissance est bonne au philosophe, autant qu’elle conduit à la sagesse ; mais l’objet véritable est toujours une bonne police de l’esprit. Par cette vue, on passe naturellement à l’idée d’une critique de la connaissance. Car la première attention à nos propres erreurs nous fait voir qu’il y a des connaissances obscurcies par les passions, et aussi une immense étendue de connaissances invérifiables et pour nous sans objet, et qui ont deux sources, le langage, qui se prête sans résistance à toutes les combinaisons de mots, et les passions encore, qui inventent un autre univers, plein de dieux et de forces fatales, et qui y cherchent des aides magiques et des présages. Et chacun comprend qu’il y a ici à critiquer et à fonder, c’est-à-dire à tirer de la critique des religions une science de la nature humaine, mère de tous les dieux. On appelle réflexion ce mouvement critique, qui, de toutes les connaissances, revient toujours à celui qui les forme, en vue de le rendre plus sage.

Le lecteur ne s’étonnera pas qu’un bref traité commence, en quelque façon, par la fin, et procède de la police des opinions à la police des mœurs, au lieu de remonter péniblement des passions et de leurs crises à l’examen plus froid qui les corrige un peu en même temps que l’âge les refroidit.