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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/162

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DE L’ACTION

les nerfs ou dans les centres nerveux, et qui font que les réactions répétées s’inscrivent par des chemins de moindre résistance. Encore est-il à remarquer que les meilleurs signes par lesquels on puisse faire obéir un cheval sont toujours des pressions ou contraintes, qui gênent certains mouvements et en favorisent d’autres. Cette activité machinale ne ressemble jamais à l’intelligence, et j’ai toujours pensé que le dressage des animaux, bien loin de prouver qu’ils comprennent, suppose au contraire une entière stupidité. L’homme apprend tout à fait autrement, non pas par répétition machinale, mais par recommencement, toujours sous la condition d’une attention soutenue, disons autrement, sous la condition que les mouvements exécutés soient voulus et libres, sans que le corps en fasse d’autres. Il est bien vrai que toute contraction musculaire éveille aussitôt les muscles voisins, et souvent même les muscles antagonistes, de façon que nos membres se raidissent, se fatiguent et n’avancent point ; mais je crois que la cause principale de ce désordre du corps est la confusion des idées augmentée encore par la peur de se tromper, si funeste dans toutes les actions. Remarquez que, dans tous les exercices, la victoire est soudaine. Dès que le jugement forme une perception claire et que le corps suit, tout est su. L’attrait des habitudes et leur puissance naturelle viennent de ce bonheur que l’on trouve à faire ce que l’on fait bien, même battre les cartes.

Mais il se joint à cette raison, qui explique déjà assez les récréations des oisifs, un jugement bien trompeur, sous l’idée fataliste, c’est que nos habitudes sont nos maîtresses, et que, dès qu’elles nous tirent et nous appellent par de petits mouvements, nous ne pouvons absolument pas leur résister. Un homme d’âge, et contraint par sa santé de prendre un nouvel emploi, loin de son métier, de ses amis, de ses plaisirs, disait : « On se passe de beaucoup de choses. » Et tous ceux qui ont fait la guerre peuvent dire qu’il est aussi vite fait de changer d’existence que de changer d’habit. Mais d’avance on ne le croit point. La guérison des habitudes funestes consiste à faire voir, par l’expérience, que l’habi-