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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/27

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DE LA PERCEPTION DU MOUVEMENT

seulement, en changeant toujours de lieu comme fait le mobile lui-même. Le subtil Zenon disait bien que le mobile n’est jamais en mouvement puisqu’à chaque instant il est exactement où il est. Je reviendrai sur les autres difficultés du même genre ; mais nous pouvons comprendre déjà que le mouvement est un tout indivisible, et que nous le percevons et pensons tout entier, toutes les positions du mobile étant saisies en même temps, quoique le mobile ne les occupe que successivement. Ainsi ce n’est point le fait du mouvement que nous saisissons dans la perception, mais réellement son idée immobile, et le mouvement par cette idée. On pardonnera cette excursion trop rapide dans le domaine entier de la connaissance ; ces analyses ne se divisent point. Remarquez encore que, de même que nous comptons des unités en les parcourant et laissant aller, mais en les retenant aussi toutes, ainsi nous percevons le mouvement en le laissant aller, oui, mais le long d’un chemin anticipé et conservé, tracé entre des points fixes, et pour tout dire immobile. Quand on a déjà un peu médité là-dessus, rien n’est plus utile à considérer que ces illusions que l’on se donne à volonté, en pensant telle ou telle forme du mouvement ; ainsi, quand on fait tourner un tire-bouchon, on perçoit une translation selon l’axe, sans rotation, si l’on veut ; ou, encore, on peut changer dans l’apparence, le sens de la rotation d’un moulin à vent ou d’un anémomètre, pourvu que l’on décide d’orienter l’axe autrement. Ainsi un autre choix de points fixes fait naître un autre mouvement. La notion du mouvement relatif apparaît ainsi dans la connaissance sans paroles.

Tout ce qui a été dit ici de la perception du mouvement s’applique au toucher, et notamment à la connaissance que nous avons de nos propres mouvements, par des contacts ou des tensions, avec ou sans l’aide de la vue. On jugera sans peine que l’idée de sensations originales, donnant le mouvement comme d’autres donnent la couleur et le son, est une idée creuse. C’est toujours par le mouvement pensé que j’arrive au mouvement senti ; et c’est dans l’ensemble d’un mouvement qu’une partie de