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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

ports de nombre, surtout dans les mouvements rapides, ne permettent aucune fantaisie ; ce qui est en trop est désordre ; et le bon musicien se reconnaît surtout à ce qu’il compte les silences. Nous touchons ici aux nuances de la musique la plus compliquée ; car, même dans les mouvements lents, il y a une rigueur du rythme, une marque imperceptible pour les groupes de groupes, enfin un cours régulier des sons qui porte les variations et ornements ; mais il y faut plus de volonté qu’on ne croit ; faute d’observer cette règle, la musique revient à la poésie ; et, si les paroles chantées ne soutiennent pas alors la musique, l’auditeur s’y perd.

Même sans paroles, les sons émeuvent toujours, car ce sont des cris purifiés ou bien des bruits purifiés ; mais il faut que ce soient des passions d’un moment ; il faut que la musique nous sauve toujours et nous relève. C’est ce qui fait dire que la musique excite les passions ; on oublie que toute passion s’exaspère par ses effets, de quoi la musique nous délivre. La même méprise s’observe pour les larmes, qui marquent un soulagement dans la peine. Mais bornons-nous au rythme. Je ne vois guère qu’un rythme hors du binaire, c’est le ternaire, dont l’origine naturelle est peut-être dans le bruit des moulins, ou bien des batteurs en grange ; toujours est-il que ce rythme a ceci de remarquable qu’il exclut la marche, et apporte ainsi toujours l’idée du loisir et du jeu. Composé avec le binaire, selon deux groupes de trois, il perd son caractère propre, mais communique à la marche une légèreté de promenade.

Ce qui est le plus remarquable, c’est que le bruit rythmé, à lui seul, sait déjà tromper et rassurer, par des contre-temps vigoureux, appelés syncopes, mais seulement lorsque le rythme est bien établi ; chacun pourra observer que le rythme gagne en puissance par ces contradictions et ces reconnaissances ; ce plaisir est commun à tous, et redresse la nature humaine comme il faut. Quand ces jeux se mêlent à un mouvement lent, il faut que les sons ou la voix y aident ;