Aller au contenu

Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
DES TIMBRES ET DE l’ORCHESTRE

de ces difficultés, le quatuor dépasse l’orchestre en puissance.

Les cuivres seuls conviennent aux rythmes simples et aux musiques telles que les permettent le cor, le clairon, et la trompette ; ce sont réellement des bruits où il faut retrouver la musique ; aussi les jeux de l’harmonie n’y sont pas libres ; les passages périlleux y sont étranglés et rauques. Les bois, et surtout les clarinettes et les flûtes y mettent quelque légèreté ; mais le son de ces instruments est encore trop chargé de timbres. Il faut donc que tout ce bruit puisse être dominé par la masse des violons et de leurs frères plus graves. Quant aux instruments à percussion, ils sont plus près encore du bruit, mais assurent le rythme, seule discipline de cette tempête de bruits. L’esprit de l’orchestre est dans cette lutte entre les puissances diaboliques et les esprits célestes ; et la musique, à dire vrai, y est plutôt un miracle, même dans les cordes. Il arrive quelquefois que le vent ou d’autres bruits font des musiques d’un instant, par rencontres et alliances de bruits ; une belle musique d’orchestre arrive ainsi à se faire entendre, sur un chaos de bruits rythmés ; victoire encore, naissance merveilleuse, existence fragile, continuellement menacée. Même dans les violons en masse, comme les emploie Wagner, il naît un bruit d’abeille, d’où il semble que la musique sort par moment. L’orchestre est ainsi tout à fait autre chose qu’un concert d’instruments ; la masse même tend toujours à vaincre le musicien ; elle y parvient souvent. Ici les passions sont hors de l’homme ; elles ont leur vrai visage, cosmique ; et la fatalité est tout extérieure ; c’est un déchaînement des forces aveugles, ou bien des dieux, comme on voudra. Il y a donc quelque chose de l’épique dans l’orchestre ; mais le vrai dieu s’y montre mieux que par un rythme toujours le même ; on dirait que le mouvement même de l’épopée est maintenant parmi les forces ennemies ; ce grand mécanisme humain est ici plus fort que l’homme. Toutefois le génie, sur ce tumulte océanique, trouve une place et