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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/152

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

que cette simplicité est de précaution, et forte ; d’où procèdent ces hardiesses promptement balayées ; ce n’est que flottement d’un instant, ou hésitation aussitôt vaincue, comme dans une troupe d’attaque. Il semble aussi que les parties ne peuvent pas s’égarer beaucoup dans les ornements et variations des hautes, mais plutôt se serrer et ramasser en avançant sans même regarder à droite et à gauche. L’héroïque imite à merveille ce mouvement humain, mais sans désordre aucun.

Le thème le plus riche de la vraie musique, c’est la peine, mais non pas même agenouillée, relevée au contraire, et qui regarde au loin. Le premier signe de la consolation c’est que les choses s’éloignent autour, et se reculent à leur place. La musique aussi veut de la place autour, et étend autour de nous comme un espace de silence ; car la musique et le silence sont ensemble, toujours dans une solitude peuplée ; c’est pourquoi le sommeil et le soir sont des conditions accessoires favorables à la méditation musicale, surtout quand elle s’avance dans les routes du souvenir, apaisant et enchaînant les peines. Cette Muse ne raconte pas ; mais mesurant toujours la joie aux peines, et volant au lieu de marcher, elle ressemble à la lumière du soir qui finit par embellir toutes les choses un peu avant qu’elles s’effacent. Ainsi l’on se trouve fortement réconcilié avec soi, et recueilli dans le sens plein du mot. Chacun fera la différence entre un chant du soir de Schumann et les accents dramatiques de la peine à son paroxysme, qui ne sont que déclamation chantante.

Toute musique est religieuse par la pureté, l’attention, la soumission, le recueillement, la sérénité qu’elle veut et qu’elle apporte. La musique proprement religieuse est plus sévère et pense davantage au gouvernement extérieur ; c’est la musique d’une danse majestueuse, ou bien encore une récitation de cérémonie. Toujours est-il qu’elle se fait écouter de tous. Mais l’âme musicienne prend d’elle-même ce mouvement qui l’élève au-dessus des misères, toutes