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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/169

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DES CARACTÈRES

bien faire monter et descendre les lignes selon les situations et les sentiments. Comme l’écrivain décrit par des mots, et le dessinateur par des lignes, ainsi le dramaturge n’a que le dialogue, le monologue, et la marche irrévocable du temps. Remarquez que l’on peut tout oser au théâtre, mais non pas faire paraître avant ce qui est après. C’est le déroulement d’un malheur prévu, annoncé, nécessaire par les passions, par la prévision même, par la crainte même, c’est le mouvement du drame enfin qui fait vivre les personnages ; car ce sont d’abord des abstractions habillées, mais qui prennent corps dans le feu et dans la fumée. Aussi les mots les plus fameux vivent surtout par le drame. « Être ou ne pas être », qui donc s’intéresserait à cette méditation en éclair ? C’est le drame pressant, c’est la marche du temps qui donne son prix à la chose. Et pareillement cette déclamation de Figaro à la fin du Mariage, exemple achevé d’un mouvement dramatique qui dépasse toute éloquence, mais par d’autres moyens, et par quoi Figaro est immortel autant qu’Hamlet. On voit quelle erreur ce serait de compter sur les caractères et sur les idées pour porter le drame ; et c’est la même erreur que celle du peintre qui chercherait à plaire par le sujet même. Mais il faut au contraire que le sujet plaise par la ligne ; et il faut même qu’au théâtre les idées frappent par la situation et le mouvement. C’est pourquoi il n’y a rien de plus froid qu’un drame qui veut prouver quelque chose.