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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/171

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DE LA POÉSIE DRAMATIQUE

ainsi que le Chœur des anciens faisait comparaître les forces du monde et les Dieux. Il faut dire aussi que le temps porte à merveille ces évocations de lieux ; car il enferme en lui que toutes choses autour changent en même temps, jusqu’aux plus lointaines ; et toutes nos attentes passionnées sont jointes ainsi de plus d’une manière aux mouvements célestes et aux changements de la lumière. Aussi la poésie se développe aisément dans le drame, comme le génie de Shakespeare l’a deviné ; et c’est cette force poétique accrue qui permet la pauvreté du décor et les changements de lieu, qu’on ne remarque même pas pourvu que la loi du temps soit respectée. Mais cette même raison fait aussi que le lieu peut rester le même, et sans aucun caractère, comme aussi l’action manquer tout à fait sur la scène ; le déroulement du drame en dialogue, et la marche du temps toujours sensible, affirme assez que tout l’univers accompagne ; car il n’y a point de temps séparé ni de temps séparable ; et, même par l’abstraction la plus forte, on ne peut jamais penser qu’un temps pour toutes choses. C’est pourquoi le monde apparaît assez par éclairs. Ainsi quand le matin réveille le portier du château de Macbeth, la nuit a passé, et le crime est irrévocable. « Il n’est plus temps », voilà le refrain tragique ; en cela consiste l’action ; et voilà pourquoi les vains mouvements ne la remplacent point, et pourquoi le rythme poétique l’exprime si bien, en même temps qu’il en reçoit plus de corps et de puissance, car le pas de tous les personnages s’y fait entendre ; c’est comme une danse d’invisibles.

Il y aurait sans doute plus à dire sur les symboles, qui sont des comparaisons suivies et comme liées tout le long du drame, quoiqu’on ne les aperçoive que de temps en temps. Mais il n’est pas sûr que les auteurs de ce temps aient toujours mesuré les moyens poétiques à la force dramatique qui doit les porter. Il est permis de supposer que ces développements parallèles remplacent quelquefois le rythme des vers et rendent sensible la liaison de toutes choses dans le