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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/231

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PRÉLIMINAIRES SUR LE STYLE

toujours assez les cris et les convulsions. Toutefois les conditions de l’acoustique et les fatigues du métier tendent toujours à restaurer les règles du goût ; à quoi la poésie dramatique ne contribue pas peu, en imposant aux passions une espèce de chant qui règle en même temps les gestes, ainsi qu’il a été expliqué.

La musique est peut-être, de tous les arts en mouvement, celui qui conserve le mieux ce qu’on appelle le style. La musique est peut-être le style même ; car il n’y a point de musique passable qui ne suive une mesure rigoureuse ; et ce n’est guère que dans la musique dramatique que le chanteur peut se permettre de manquer aux règles de bon goût ; encore en est-il toujours puni, car un son juste, plein et puissant suppose la possession de soi. Enfin il est clair que la musique populaire est simple et noble toujours, sans la moindre trace de déclamation. C’est pourquoi on ne dirait pas trop en disant que le style est parent de la grandeur d’âme, et que la volonté de plaire ou d’étonner y est tout à fait contraire.

Sans doute faudrait-il aussi considérer attentivement ce que c’est qu’exprimer. Car une mimique violente et désordonnée n’exprime rien. Peut-être arriverait-elle à jeter le spectateur dans les mêmes convulsions, mais il ne saurait pas pour cela ce qu’il éprouve ; et il est presque de définition qu’un geste non retenu éteint la pensée ; c’est par là que les passions dépassent toujours leur fin. L’expression veut donc être comprise ; aussi est-elle par elle-même une invitation à l’attente ; elle avertit par la retenue. On sait que le moyen d’établir le silence n’est pas de crier. Aussi doit-on dire que la vraie musique fait silence, et la vraie éloquence aussi, et le véritable acteur aussi ; je dis le silence par le silence. En somme aucun tumulte n’exprime rien. L’expression est de la pensée. Il faut donc que la passion ait contour et forme. Et la pudeur, en toute chose, est sans doute la peur d’exprimer trop et ainsi d’exprimer mal. C’est pourquoi la politesse tient de si près au style,