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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/242

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

par le travail des mains est naturelle aussi ; c’est donner corps à une apparence raisonnable ; et sans doute les premières inventions se firent ainsi, la main marquant aussitôt sur l’objet la prise de la pensée ; et, en revanche, l’objet sauvant l’esquisse contre cette improvisation instable qui dissout naturellement toutes nos pensées. La première idée de sculpter naquit sans doute de cette rêverie disciplinée par des formes solides. Mais, quoique la résistance de la matière mît en garde contre les folles improvisations, néanmoins plus d’un sculpteur naïf fit grimacer l’œuvre, et trouva cent visages alors qu’il n’en cherchait qu’un. Cette mésaventure est celle de presque tous les sculpteurs d’aujourd’hui ; et leur travail n’est souvent que pour corriger cette erreur des passions ; mais ils n’arrivent à sculpter que le masque d’une folie décente. Au rebours, le vrai sculpteur retournant à l’antique sagesse de l’exorciseur, change prudemment la première forme ; je dirais plutôt qu’il la délivre, écartant toutes ces formes démoniaques qui voudraient exister aussi. On se risquerait à dire que le premier travail de la pensée, c’est la sculpture peut-être. Ceux qui auront bien saisi, d’après ces vues, la règle et la condition de toutes nos inventions seront moins surpris de ces fermes jugements, et si communs, qui estiment un vieux saint de pierre, où les fautes sont pourtant assez visibles, bien au-dessus d’une figurine adroitement finie. Ces jugements n’échappent pas aux artistes ; mais, comme ils n’en devinent pas les causes, et comme ils sentent bien que l’exactitude des proportions et des formes n’est pas un défaut pourtant, il arrive que leurs œuvres tombent sous leur propre jugement. Il est donc à propos de mettre ici en ordre, d’après les principes, tous les articles de cette sévère discipline, assez connue, mais trop peu comprise, et qui permettra de vaincre la dangereuse facilité propre au métier du modeleur.

Comme il est beau que l’invention retrouve la nature, et quoique cette condition ne soit pas la première, il faut que les formes humaines, qui sont le